Dans la lignée des précédents articles sur les OKRs :
Aujourd’hui je vous parle de ce qui se cache derrière cet acronyme.
OKRs. Encore un acronyme me direz-vous. Anglais, évidemment – de toute façon, si ce n’est pas en anglais, c’est tout de suite moins innovant… Un acronyme de taille moyenne, entre les deux lettres du PO et les cinq de AAARR: trois lettres, comme son cousin éloigné: les KPIs. Trois lettres qui signifient Objective & Key Results, et qui désignent une méthode de pilotage par les objectifs qui consiste à définir à la fois :
- Ce qu’on essaie de faire – l’Objectif
- Et comment on vérifiera qu’on l’a bien fait – grâce aux Keys Results
Les OKRs sont étroitement associés à Google (et à son succès) pour y avoir été introduits dès 1999, alors que l’entreprise avait moins d’1 an, par John Doerr. En réalité, ce bon monsieur Doerr, bien connu de la communauté startup pour être un VC à succès, était aussi un ancien d’Intel. Et c’est apparemment là qu’il y a croisé les OKRs, moyen utilisé à l’époque – nous sommes alors à la fin des années 70’s, par le co-fondateur d’Intel, Andy Groves, pour aligner et discipliner ses collaborateurs alors que la firme devait prendre un virage stratégique.
Soit, merci pour le quart d’heure historique. Mais concrètement: c’est quoi, les OKRs ?
OKRs – Allez, un exemple
Admettons que je sois formateur dans une entreprise. J’aide mes collègues à utiliser nos outils internes et à comprendre comment ils fonctionnent. Ce n’est pas gagné car ces outils ont :
- Des interfaces arides – ndlr: leur designer a fini en prison
- Pleins de règles métier que plus personne ne connaît vraiment – le turnover, le manque de vision produit… : vous connaissez peut-être la musique
Il se trouve que le trimestre prochain, je vais avoir plein de nouveaux utilisateurs car on a recruté 50 personnes. Ça représente 50% de nos effectifs. Héhé, la belle affaire. Bon, pas de panique, on m’a parlé d’un super outil: le pilotage par OKR. Ça peut sûrement m’aider. Mais comment ?
L’Objectif, c’est ce que l’on cherche à faire
Commençons par le commencement, à savoir définir l’objectif. Facile me direz-vous : il s’agit de former tous les nouveaux utilisateurs.
Et c’eeeeeeeeeeeeeeeeest… raté.
Eh oui, ça, ce n’est pas un objectif : c’est une tâche ! Au mieux, c’est un ensemble de tâches, ce qui revient à la même chose.
Pour trouver notre objectif, on va se demander pourquoi on essaie de faire cette tâche. Si l’on forme les utilisateurs, c’est pour qu’ils soient opérationnels plus rapidement. Le voilà mon objectif : « Rendre rapidement opérationnelles les nouvelles recrues« .
C’est un bon objectif, pour plusieurs raisons :
- Il est simple à comprendre – et par conséquent à mémoriser et à expliquer. C’est toujours pratique quand on rencontre des gens qui n’ont pas le temps de s’encombrer de détails. C’est aussi plus simple pour s’y retrouver à titre personnel, quand on est submergé de demandes qui arrivent dans tous les sens, et qu’on a du mal à dire non
- Il est ambitieux – et ça, ça motive; d’habitude tout le monde galère sur ces outils. Si j’arrive à faire en sorte que la montée en puissance de mes nouveaux utilisateurs se passe bien, sans accroc, ça voudra vraiment dire quelque chose
Les Key Results, c’est comment s’assurer qu’on l’a fait (ou pas)
Nous avons donc notre objectif du trimestre. Passons à présent aux Key Results. Un Key Result, ou Résultat Clé pour nos amis francophones, c’est un indicateur qui permet de vérifier si j’ai progressé vers le but que je me suis fixé. Hé oui, c’est bien se fixer des objectifs ambitieux. Mais il faut quoiqu’il arrive s’assurer qu’on puisse évaluer correctement l’atteinte ou non de ces derniers.
Et c’est là que ça se gate généralement. Trouver ses bons Key Results n’est pas chose aisée. Quels seraient ces Key Results dans notre cas ? Réaliser des tutoriels ? Animer les formations ? Assurer le support?
Non. Ça, ce sont des actions. Pas des Key Results.
Un Key Result, c’est mesurable. « It’s not a Key Result unless it has a number » avait pour habitude de dire Marissa Mayer, l’ex-CEO de Yahoo qui a fait ses classes à Google.
Pourquoi est-ce important d’avoir des chiffres ? Certes, il y a tout un engouement parfois sur-joué autour de la data, mais une chose est sûre: « If you can’t measure it, you can’t improve it » pour reprendre l’excellent Peter Drucker, qui, soit dit en passant, passe pour être le père des OKRs – il appelait ça le Management par Objectif.
Allez, faisons un autre essai, cette fois avec des chiffres. 100% de tutoriels réalisés? 100% des utilisateurs formés? On s’en rapproche. Mais ça, ce sont des résultats. Pas des résultats clés.
Plus que des Résultats : des Résultats Clés
Faisons-nous l’avocat du diable deux minutes. Est-ce qu’avoir formé 100% des nouveaux arrivants nous permet de conclure rigoureusement qu’ils sont opérationnels sur les nouveaux outils ? Non ! Certes, ça peut y contribuer, mais ce n’est pas suffisant.
En effet, on peut avoir formé tous les utilisateurs, et pour autant ne pas avoir fait progressé le schmilblick d’un iota. Par exemple, parce que la formation n’est pas adaptée, ou qu’elle ne couvre pas tous les aspects, ou que les personnes formées n’y sont pas sensibles… Après tout, assister à un cours de maths ne suffit pas pour avoir 20 – et pour certaines personnes, ce n’est même pas nécessaire, mais c’est un autre sujet.
En toute rigueur, on ne peut pas savoir si nos 100% de tutoriels réalisés, ou nos 100% d’utilisateurs formés nous ont servis à quelque chose pour atteindre l’objectif que l’on s’est fixé initialement. Bien sûr, 100% ça rend bien sur le papier, mais les OKRs ne visent pas à légitimer l’agitation, mais plus à mettre en place des garde fous pour aller chercher des impacts.
C’est pour cela que ce qu’on cherche à atteindre, plus qu’un résultat, c’est un résultat clé, c’est-à-dire un résultat qui a du sens par rapport à l’objectif qu’on s’est fixé. Qui nous aide vraiment à mesurer si les actions entreprises ont eu un impact et nous ont rapproché vers notre objectif.
Dans notre contexte, on peut se dire que si :
- Au bout x temps, les nouveaux utilisateurs mettent le même temps pour effectuer une tâche X ou Y que les utilisateurs plus capés
- Ou à la fin du trimestre, ils émettent en moyenne le même nombre de demandes de support que les autres utilisateurs
Alors, on aura atteint notre cible. En effet, si mes nouveaux utilisateurs sont aussi productifs, ou s’ils rencontrent autant de problèmes que les anciens, on peut estimer que le travail d’onboarding a été bien fait.
Récapitulons
Contexte: +50% de nouveaux utilisateurs
O: Rendre les nouvelles recrues rapidement opérationnelles
KR1: Atteindre moins de 5% de différence entre le temps passé sur la tache X par les nouveaux utilisateurs et les anciens utilisateurs
KR2: Atteindre moins de 2% de différence entre le nombre de tickets de support émis par les nouveaux utilisateurs et les anciens utilisateurs
Précision utile, les résultats mentionnés ici sont mauvais. En effet, ils sont une vue partielle : je peux les atteindre, et avoir, en même temps, une performance globalement plus mauvaise.
Par exemple, si mes anciens utilisateurs se mettent subitement à passer 2x plus de temps sur la tâche X, ou émettent 2x plus de tickets de support, je peux très bien avoir techniquement atteint mes KRs, mais ça ne fait pas vraiment avancer l’organisation dans sa globalité. Il manque donc une dimension systémique à la formulation de ces deux résultats clés, qu’on pourrait intégrer par exemple en mentionnant que le temps moyen passé sur la tache X par la population des anciens utilisateurs ou que le nombre moyen de tickets de support émis par cette même population doivent rester a minima constants.
Bon, on a simplifié : le but ici étant de vous transmettre l’idée directrice plutôt qu’un manuel exhaustif.
En bref, les OKRs consistent à fixer une cible et mettre en place les conditions pour mesurer notre progression vers celle-ci. Ensuite, roulez jeunesse : on peut commencer à penser tactiques, c’est-à-dire à lister les actions qui vont me permettre de faire mouche (ou pas), commencer à évaluer leurs impacts/faisabilité/dépendances/… bref, à rentrer dans un travail de priorisation et de roadmapping assez classique.