Les OKRs en pratique

Dans la lignée des précédents articles sur les OKRs :

Aujourd’hui je vous parle des OKRs en pratique.

La théorie c’est bien, la pratique c’est encore mieux. Comme dirait notre ami Confucius:

«J’entends et j’oublie; je vois et je me souviens; je fais et je comprends

-Confucius

C’est un peu l’histoire du lapin rose de la RATP: on a beau lui dire de ne pas mettre ses doigts dans la porte, en fin de compte il n’y que quand il se sera fait pincer très fort qu’il comprendra pourquoi on lui disait ça.

On comprend en faisant. Comme le résume Céline dans Guignol’s Band « On est parti dans la vie avec les conseils des parents. Ils n’ont pas tenu devant l’existence ». Mais ce n’est pas dire que les conseils ne servent à rien: vous pouvez très bien construire sur les erreurs des autres!

Les OKRs ne dérogent pas à la règle. Même après plusieurs trimestres de pratique, vous continuerez à faire des erreurs et à vous poser de nouvelles questions. Mais si on peut faire vous faire gagner du temps, alors pourquoi s’en priver?

REX 1 – On ne travaille pas que sur ses OKRs

Les avis divergent, et la posture de réponse dépend aussi des positions face à d’autres questions, comme par exemple le nombre de KRs sur lesquels s’engager durant un trimestre. En ce qui me concerne, il me semble que, si les OKRs sont un instrument puissant d’alignement et de focus, il ne doivent pas être considérés comme la seule chose sur laquelle s’engager durant une trimestre.

Quel que soit le contexte de votre position/produit, vous avez un run à assurer. Ca peut être des tâches d’administration courante. Des choses à faire pour débloquer d’autres produits/équipes en dépendance avec le vôtre. Etc.

Alors c’est vrai que c’est non seulement tentant de décréter que pour avancer, il faut se concentrer juste sur une seule chose. Et qu’en plus, c’est plus simple à faire. Mais il ne me semble pas que le pilotage par OKRs soit là pour vous affranchir de votre run: il faut plutôt y voir un outil qui vous aide à ne pas vous laisser submerger par ce run au point de faire du surplace.

En particulier, communiquer autour des ses OKRs, ce n’est dire pas dire à tout le monde que vous n’allez travailler que sur ça. C’est informer vos parties prenantes que durant ce trimestre, en plus de votre run, vous allez essayer de progresser dans cette direction.

Oh qu’il a changé le Michel! Mais revenons à nos moutons: communiquer sur vos OKRs, ce n’est pas se transformer en une poupée qui dit non à tout. A la barbe de certains POs qui ont très bien compris que dire non, ça leur permettait de … faire moins.

En conséquence, les engagements pris lors de la définition des OKRs doivent prendre en compte ces contraintes de run et tenir compte du temps que vous pourrez passer effectivement sur l’atteinte de vos KRs.

REX 2 – 1 Objectif, 3 KRs, c’est déjà bien pour un trimestre

Un des bienfaits des OKRs c’est de favoriser le focus et l’alignement entre les personnes. Mais si vous commencez à fixer trop d’objectifs, vous verrez probablement que vous perdrez en focus. Qu’est-ce qui est le plus important? Comment prioriser? Et ce, à plus forte raison si votre part de run, d’administration courante, est importante. Alors, très rapidement vous vous faites absorber par le quotidien, et à courir trop de lièvres à la fois, vous finissez par tous les laisser filer.

Ah bah oui, on est sur Internet, on vous met du petit chaton mignon. Normal. Mais cela illustre bien le principe. Plus il y aura de trous, moins vous aurez de chances de taper sur la taupe (ici, le doigt). A moins bien sûr que vous n’ayez autant de bras que Shiva.

On peut lire ça et là qu’il convient de choisir de 3 à 5 objectifs et environ 3 Résultats Clés par Objectif. Mais plus l’on fixe d’objectifs ou de key results :

  • plus il devient difficile de se concentrer sur ce qu’il y a à faire. N’oubliez pas que c’est complexe de cadrer des projets différents, de suivre et guider l’avancement de personnes qui sont mobilisées sur des fronts différents. Derrière, ces mêmes personnes perdent en alignement, travaillant sur des sujets différents. Avoir moins d’objectifs simplifie le fait de garder tout le monde aligné sur ce qu’il y à faire, et augmente la probabilité d’y parvenir.
  • plus il devient difficile de bien les fixer. Travailler ses OKRs prend du temps, et peut s’avérer compliqué. Inversement, à bâcler ses OKRs, on vide la méthode de son intérêt. Il vaut mieux avoir peu d’OKRs, bien fixés, et s’y tenir: ça permet de métaboliser l’exercice et d’en comprendre l’intérêt. Au pire, l’exercice étant itératif, si on pense avoir plus de bande passante lors de prochaines périodes, on pourra tenter de rajouter des KRs.

REX 3 – Commencez à travailler vos OKRs un mois avant la fin du trimestre

On parlait de bien fixer ses OKRs. Ce n’est pas trivial. Il faut déjà être en mesure de formuler un bon objectif. Puis de comprendre comment on pourrait mesurer la progression vers cet objectif, et notamment, pour commencer, si l’on est en mesure de la mesurer. Puis de lister les routes qui nous permettraient de l’atteindre, et de les estimer en grosses mailles pour comprendre si tout ça rentre bien dans le temps imparti. Chemin faisant, on identifie aussi les points bloquants, incertitudes, dépendances de chacune de ces stratégies… Tout cela prend du temps.

Une des forces du pilotage OKR, c’est justement le travail amont qu’il nécessite. En effet, faire cet exercice, c’est déjà se confronter aux sujets qu’on l’on a décidé d’adresser et faire une première itération (voire plus) pour savoir si l’on est suffisamment prêt pour engager le chantier. C’est cela qui permet d’avoir des projections plus fiables. Bien sûr, notre stratégie risque d’évoluer, mais l’exercice n’en est pas moins très instructif: c’est une première simulation, qui est à notre plan de travail ce qu’est le prototype à un produit: une manière d’apprendre, de révéler des nouveaux aspects qui n’étaient pas visibles avant, et qui nous permettent de mieux maîtriser la variabilité de ce qu’on fait ensuite. C’est un peu le mot d’Eisenhower (tiens, encore un militaire, décidemment…) « In preparing for battles I have always found that plans are useless, but planning is indispensable ».

Les OKRs c’est un peu comme le comté: pour faire ses OKRs, il faut du temps. Et avec le temps, vient le goût des OKRs.

Il est donc très important de prévoir le temps nécessaire pour bien fixer ses OKRs. Cela permet notamment de laisser le temps nécessaire à la réflexion, d’effectuer les actions de recherche d’infos pour couvrir les besoins qui en émergent, d’avoir le temps de se coordonner avec les autres équipes avec lesquelles on pourrait être en dépendance…

REX 4 – Faites vos OKRs pour vous, pas pour les autres

Faites comme Drago: les OKRs c’est pour vous, pas pour les autres. Et spéciale dédicace au faux Gorbatchov en fin de vidéo – mon petit doigt me dit qu’il n’a dû faire qu’un seul rôle de toute sa carrière…

J’ai une certaine défiance vis-à-vis du reporting et de ce qui peut constituer une trop grande simplification par les indicateurs. Au début, j’ai donc rangé les OKRs un peu dans la même boîte. C’était quelque chose d’extérieur à moi, un truc qu’on me demandait, comme une sorte de passage obligé dont je ne percevais pas la valeur.

Chemin faisant, j’ai réalisé que travailler OKRs m’aidait vraiment à faire du meilleur travail : à aligner mon équipe, à rester focus, à mieux filtrer ce qui entrait dans mon backlog, à ne pas mélanger problème et solution, à mieux mesurer l’impact de nos actions etc. Bref, c’est un investissement, mais j’y trouve mon compte.

Et la plus grande valeur que j’y vois, c’est de trouver le bon Key Result, celui qui capture bien le problème que je veux adresser. Derrière, ça devient comme un jeu: j’ai envie d’atteindre ce KR. Parce que j’ai pris un engagement. Et qu’en plus je ne l’ai pas pris à la légère (voir point précédent). Alors si j’arrive à toucher ma cible, ça voudra dire que mon équipe aura vraiment avancé la fin du trimestre. Et en plus, cet engagement est ambitieux, et ça rend l’exercice plus excitant: car à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, n’est-ce pas?

REX 5 – Si votre KR est une tache, demandez-vous pourquoi vous la faites.

Dans les OKRs, ce qui compte, c’est la destination, pas le voyage. Peu importent les étapes tant que vous vous rapprochez, voire parvenez, au but. Mais les étapes ne garantissent pas à elles seules l’atteinte de la destination. C’est pour cette raison qu’une tâche ne saurait, dans la grande majorité des cas, être considérée comme un Résultat Clé.

Quand vous fixez vos OKRs, si vous vous retrouvez à avoir un Key Result écrit comme une tâche, une bonne manière de revenir dans le droit chemin et d’identifier votre KR sera de vous poser la question « pourquoi ? » : « pourquoi faire cette tâche ? ».

Un Key Result, ce n’est pas ce que vous faites: c’est pourquoi vous le faites. Et si vous voulez savoir pourquoi il faut toujours commencer par pourquoi, demandez à Simon Sinek

Votre Key Result n’est pas de livrer telle fonctionnalité : c’est d’amener, par exemple, les utilisateurs à effectuer telle action 30% plus vite. Voilà votre Key Result: c’est la raison pour laquelle vous faites cette fonctionnalité.

Soit dit en passant, regarder le Key Result et non pas la fonctionnalité maximisera votre chance d’atteindre la cible. en diminuant, notamment, votre attachement à la fonctionnalité: la fonctionnalité, c’est une simple tactique, si elle ne marche pas, ce n’est pas la fin du monde, on la met de côté et on trouve une nouvelle tactique.

REX 6 – Excel, la formule universelle pour le suivi

Les OKRs, ce n’est pas quelque chose qu’on fait ponctuellement, au début et à la fin du trimestre. C’est un outil de pilotage, et en tant que tel, il a plus de valeur si il est utilisé en fil rouge. Vous arrivez à la fin du trimestre, et vous vous rendez compte que vous êtes loin de la cible: vous avez moins de temps pour ajuster le tir que si vous aviez redressé la barre plus tôt. Vous voyez l’idée.

Ca a donc plus de sens relever les compteurs régulièrement. Mais c’est parfois compliqué. Par exemple, mes OKRs de ce trimestre sont basés sur 5 sources de données:

  • des données de plusieurs base de données (et auxquelles je n’ai pas directement accès…);
  • des logs Kibana (sur plusieurs environnements, et oui, ce serait trop simple sinon);
  • des statistiques de support, extraites depuis un outil fait maison
  • des données venant d’AppDynamics;
  • des données éparses se trouvant notamment sur Slack

Ce qui pose les problèmes suivants:

  • Ces sources, j’ai dû les croiser pour avoir des indicateurs pertinents
  • Elles ne se mettent pas toutes automatiquement à jour et j’ai besoin d’un moyen simple pour suivre ainsi leur évolution dans le temps.
  • Et elles ne sont pas toutes facilement manipulables… Or, des données brutes ne forment pas nécessairement des indicateurs pertinents : on a besoin de les explorer pour trouver des perspectives.

Bref, ce qui marche pour moi, c’est de tout mettre sur un spreadsheet partagé:

  • car toutes ces sources sont exportables en CSV, donc je peux consolider différentes sources de données au même endroit;
  • car Excel me permet de manipuler les données assez facilement, donc je peux y mettre en perspective mes données et les croiser en indicateurs pertinents.
Un spreadsheet n’est pas forcément adapté à tous les usages. Mais pour agglomérer différentes sources et les faire parler, ça reste très puissant. A condition bien sûr que vous ne vous trompiez pas dans les formules!

Un autre bienfait de l’approche est de mettre vos données à disposition de tout le monde plus facilement, dans un logiciel qu’ils ont déjà vu et qu’il savent plus ou moins utiliser. Je ne leur donne pas accès qu’à mes indicateurs, j’y mets mes données brutes, d’où elles viennent, et je précise aussi comment je calcule mes indicateurs. Tout le monde n’a pas accès à Kibana, et encore moins à AppDynamics: en revanche, à Excel/Google Spreadhseet si. Cette approche vous permet donc de faire un reporting en continu, accessible par tout le monde (votre équipe, les autres équipes, votre management) : encore une fois, je vous conseille de mettre à jour vos KRs surtout pour vous, mais cette approche permet en plus d’être transparent en rendant cette info accessible à tout le monde.

REX 7 – Répéter, répéter, répéter

Une approche complémentaire du suivi des OKRs, c’est de répéter en permanence ses OKRs, à tout le monde. C’est non seulement une bonne manière de renforcer son engagement, mais c’est aussi une manière pédagogue de faire rentrer toutes ses parties prenantes dans la culture des OKRs.

Je répète mes OKRs à mes utilisateurs:

  • pour leur dire sur quoi je travaille, et pourquoi, et leur signifier que s’ils ont quelque chose à me dire sur ce sujet, c’est le moment. Ca me permet aussi de leur donner mes progrès en temps réel sur les problèmes que j’adresse et vérifier si ces progrès sont perceptibles aussi par eux (s’ils sont concernés par un de mes chantiers);
  • ou a contrario, pour leur expliquer pourquoi je ne vais pouvoir me pencher sur leur demande tout de suite: ça me permet de ne pas laisser des attentes grossir (et plus elles grossissent, plus ensuite l’effet déceptif est grand – cf la théorie des perspectives de Tversky et Kahneman) tout en laissant la discussion ouverte pour les prochaines périodes. De la sorte, le besoin peut murir et revenir sur la table à l’avenir.

En tant qu’équipe, on se répète nos OKRs durant nos rites agiles:

  • En Sprint Planning: Je dois l’admettre, j’ai souvent du mal à trouver un objectif d’itération unique. Alors, pour le remplacer, ce qu’on fait c’est qu’on rattache nos US à nos KRs. En plus, ça nous permet de suivre ses OKRs au niveau de Jira.
  • Au Daily Meeting, chacun rattache ses initiatives à un Key Result à atteindre: cela ne rallonge pas l’exercice, cela permet à ceux qui ne travaillent pas dessus de comprendre en quoi une initiative est important, et ça sert de grade fous pour éviter le Daily qui tombe dans le relevé de tâches bête et méchant.
  • En Refinement, chaque nouvelle idée est reliée à un résultat à atteindre, ce qui aide grandement à faire passer le message et laisse plus de place à la co-construction, et donc à l’appropriation par chacun: le pourquoi de la fonctionnalité apporte du sens et aide les développeurs à contextualiser. En fin de compte, la fonctionnalité ne compte plus trop: ce qui compte, c’est d’atteindre le résultat, donc ça limite les effets perfectionnistes et le trop grand attachement à cette fonctionnalité.
  • Avant chaque Rétrospective, on met à jour les KRs: cela permet de routiniser le suivi de la performance sur une échelle de temps suffisamment courte pour s’assurer qu’on ne dérive pas, et ça permet en même temps de s’assurer que toute l’équipe a bien en tête la performance à date (car tout le monde ne va pas nécessairement consulter les dashboards par soi-même).
Répéter, répéter, répéter. Peux-être que chaque jour ressemblera à un Jour sans fin ou à l’éternel retour Nietschéen, peut-être que vous serez fatigué de dire tout le temps le mêmes choses, mais à la fin du trimestre, au moins vous aurez avancé.

REX 8 – Et n’oubliez pas: les OKRs sont un processus itératif

Et oui, on en parlait un peu plus haut. Comme pour toute chose, il faut faire pour comprendre, et notamment faire des erreurs. Donc si tout ne se goupille pas pour le mieux dès le premier essai: persévérez, pendant au moins 3 trimestres.

Une partie intéressante des OKRs c’est qu’ils sont timeboxés. Et oui, vous me voyez peut-être venir: comme vos Daily Meeting, vos Sprints, etc. Et ils sont évalués: la revue trimestrielle des OKRs, c’est un peu la même chose qu’une démo de sprint en fin de compte: un moyen de voir ce qui a été fait, et d’ajuster le tir pour la prochaine période.

L’évaluation des OKRs ne consiste donc pas seulement à savoir si on a atteint les cibles, mais aussi (et surtout, en tout cas à mon sens) à comprendre si on a bien fixé ses OKRs. C’est un mécanisme d’inspection et d’adaption au sens agile. Dans cette perspective, les problèmes que vous rencontrez dans le pilotage par OKRs devraient se résorber progressivement. Par exemple, vous saurez la prochaine fois que :

  • ça n’a pas de sens de mettre des metrics si vous n’avez pas de système de mesure déjà en place, et qu’il vaut mieux, dans ce cas, se fixer comme KR le fait d’être en mesure de mesurer vos impacts;
  • c’est mieux de lister vos dépendances, et donc d’avoir déjà une idée dégrossie de ce que vous allez faire, avant de prendre des engagements et de vous retrouver bloqué parce que vous n’être pas 100% autonomes sur ce que vous aviez prévu de faire;
  • que c’est limite décevant de fixer des KR trop réalistes, et qui sont par conséquent facilement réalisés, et que la prochaine fois, vous essaierez de fixer quelque chose qui sera plus dur à atteindre.

Bref vous ferez vos erreurs, vous les analyserez et vous améliorerez votre pratique chemin faisant. Et à propos de chemin.

«Voyageur, le chemin Ce sont les traces de tes pas C’est tout ; voyageur, Il n’y a pas de chemin, Le chemin se fait en marchant»

Antonio Machado

Alexandre
Cavallaro

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