J’ai eu l’occasion d’échanger avec (le célèbre !) Christopher Parola, VP Product chez MeilleursAgents : N°1 des solutions d’estimation immobilière en ligne.
Il nous raconte les dessous de la croissance exponentielle chez MeilleursAgent et leur culture d’entreprise au travers des Impact Teams et des OKRs !
MeilleursAgents en quelques chiffres :
- Créée en 2008
- 2 millions de visiteurs uniques chaque mois
- 260 salariés
- 12 000 agences clientes soit 40% des agences sur le marché
- 1 vendeur sur 2 en France
Parlons de ton parcours, tu as commencé chez OCTO Technology où tu as travaillé sur un projet personnel : elCurator, un outil collaboratif de veille et de curation. Comment est-ce devenu un projet d’entreprise ?
Pendant un an et demi, ce projet perso m’a permis de faire mes armes en Product Management, jusqu’au jour où l’usage a été au rendez-vous. Après avoir réussi à le commercialiser, nous avons proposé à OCTO Technology de l’incuber et c’est finalement c’est devenu une filiale du groupe. En parallèle, je faisais du conseil en Product Management pour OCTO Technology.
Tu as aussi une volonté de partager, notamment en intervenant dans des écoles ?
Oui, je donne des cours à l’ESCEN et j’ai fait interventions ponctuelles à HEC et à l’EFAP. J’ai aussi fait du mentoring pour l’association “The Next Woman”. Je partage mon parcours et ma vision du métier dans différentes conférences telles que La Product Conference, School Of PO et quelques meetups.
Tu es chez MeilleursAgents depuis un peu plus de 2 ans. C’est le CTO, un ancien d’OCTO Technology, qui est venu te chercher ?
Effectivement, lorsque Accenture a racheté OCTO Technology j’étais à la recherche de ma prochaine aventure. En discutant avec Nicolas Baron (CTO), il m’a parlé d’une levée de fonds de 7 millions d’euros et de la construction d’une équipe produit chez MeilleursAgents. Il m’a alors proposé de les rejoindre et je me suis lancé dans l’aventure.
MeilleursAgents est une start-up qui a 10 ans, peut-on encore parler de start-up ?
On peut plutôt parler de Scale-up, c’est le mot à la mode ! La croissance est très rapide : quand je suis arrivé nous étions 100, aujourd’hui 250 et nous serons sûrement 300 à la fin de l’année avec une croissance de +45% du CA par an depuis 3 ans.
Peux-tu m’en dire plus sur cette croissance ?
Il y a eu 2 phases dans l’histoire de MeilleursAgents. D’abord la recherche du business model. Avant, nous mettions en relation les agences et les particuliers en prenant une commission. Notre transparence sur les prix de l’immobilier attirait : nous donnions des informations difficiles d’accès. Le nombre des propriétaires vendeurs venant estimer leur bien sur la plateforme a augmenté jusqu’à atteindre 1 vendeur sur 2 en France. C’est là qu’a eu lieu le pivot en 2015. Aujourd’hui, MeilleursAgents est une plateforme ouverte qui permet aux agents immobiliers de se rendre visibles auprès des particuliers qui préparent la vente ou l’achat d’un bien immobilier, contre un abonnement. Cela nous a permis de passer de 700 à plus de 12 000 agences partenaires aujourd’hui, soit 40% du marché.
Donc d’un modèle de porteur d’affaire vous êtes passé à un modèle SaaS ?
Oui ! MeilleursAgents accompagne les agents immobiliers dans le développement de leur business en mettant à leur disposition une palette d’outils pour maximiser leurs chances de décrocher des mandats. Tout d’abord, il y a l’offre de visibilité par abonnement qui permet aux agences immobilières d’être vu au bon moment et par les bonnes personnes. Des outils de productivité complètent cette offre pour aider les agents immobiliers à être plus efficaces et à capter des mandats. A titre d’exemple, notre outil “Estima Pro” donne accès à toutes les références de vente autour d’une adresse, ce qui aide l’agent à expliquer une estimation à un particulier.
Parlons un peu de votre culture d’entreprise ?
Nous avons 2 grandes valeurs : la Quête de l’excellence et l’entraide qu’on appelle “la Cordée”. La Quête de l’excellence, non pas seulement parce que nous voulons des numéros 1, mais nous croyons en l’amélioration continue à tous les niveaux (projets, recrutement, etc…). Puis, la Cordée car cette quête d’excellence n’est pas solitaire. On ne peut pas atteindre le sommet de la montagne si on est seul !
L’autonomie des équipes est un sujet que tu as déjà abordé en conférence, notamment avec les Impact Teams. Est-ce que vous avez vécu un moment “charnière” où vous vous êtes rendu compte de cette prise d’autonomie ?
Complètement. Au début de mon aventure chez MeilleursAgents, nous renforcions les bases de l’équipe produit (méthodes agiles, outils de Discovery, compréhension de nos clients). Lors de la structuration d’une équipe produit, beaucoup de boîtes sont coincées car le reste des équipes agit encore en top down. Selon moi, on peut demander à être autonome seulement lorsque l’on a prouvé que l’on maîtrise les gammes du Product Management. En ce qui nous concerne, on rend autonomes les personnes dans notre entreprise : ils doivent donc être très alignés avec les objectifs. Tout ne peut pas revenir au comité de direction.
On a souvent constaté que le Product Discovery était moins bien organisé que le Product Development et surtout que la zone de friction se trouvait au moment du relai entre ces 2 activités. Comment faites-vous ?
Pour schématiser : d’un côté, on a un cercle pour le delivery, qui correspond à l’itératif, de l’autre, un cercle pour le discovery, qui correspond à la recherche. Nous, nous représentons ces deux cercles par le symbole infini : l’idée est que le discovery permette le delivery, qui lui-même nourrit le discovery, qui nourrit le delivery… et vice-versa, sans jamais s’arrêter.
Plusieurs entreprises avec de grands effectifs font l’erreur de structurer les équipes de part et d’autre de ces activités. Je pense que ce modèle ne marche pas.
De notre côté, nous avons créé des petites équipes pluridisciplinaires dans lesquelles la même personne, ou bien la même équipe, incarne toutes ces compétences. Les mêmes profils sont sur toute la chaîne, il faut donc réduire la taille de l’équipe pour que tout le monde travaille correctement ensemble. Par exemple, nos équipes sont composées de 8 à 10 personnes. Elles sont donc conscientes des enjeux et développent plus vite. Nos 3 Impact Teams ont augmenté notre vélocité, les contraintes de chacun sont comprises, nous trouvons de meilleures solutions.
De cette manière on se sent plus investi.
Pour que ces Impact Teams fonctionnent, nous sommes 10 dans l’équipe produit : 3 Product Designers, 6 Product Managers et moi.
Etait-ce un changement de culture d’entreprise ?
C’était un vrai changement. Début 2017, nous faisions des roadmaps annuelles. Le nombre de projets était inatteignable, c’était donc une frustration pour tout le monde… Puis, avec le gain d’autonomie des équipes, j’ai proposé avec le CTO un modèle pour faire la roadmap différemment. En parallèle, un meeting sur les Scale-Up et les OKRs avait séduit notre CEO qui a décidé de s’y mettre. Au début, il y avait pratiquement un OKR par équipe, ce qui entraînait finalement des silos et un combat sur leur importance relative. Nous n’avons pas fait les choses parfaitement mais l’idée d’amélioration continue étant bien présente, nous étions dans une posture d’apprentissage pour faire mieux et ça détendait tout le monde.
En 2019, nous avons donc déployé 3 OKRs transverses pour toute la boîte. Ils sont déterminés par le comité exécutif avec un objectif chiffré. Puis ils sont attribués à des groupes pluridisciplinaires qui listent des initiatives pour les atteindre. On utilise ensuite le RICE (ndlr Reach Impact Confidence Effort).
Faisons un focus là-dessus : une des problématiques qu’on rencontre chez la plupart de nos clients est la priorisation top down. On se retrouve avec des équipes qui n’arrivent pas à s’approprier les sujets alors qu’ils ont une bonne connaissance du terrain et du “moteur”.
En 2018, nous avons fait l’extrême inverse : heureux de cette autonomie découverte grâce aux OKRs, les équipes ont très peu écouté la direction. La question de l’abandon des OKRs s’est alors posée et nous avons alors rectifié le tire : d’une part, les OKRs recueillent les idées de TOUT le monde, sans aucune distinction. Ce qu’il faut ensuite, c’est un bon système de scoring : selon nous, le RICE est solide car il fait apparaître la confiance, il donne des éléments tangibles pour évaluer une idée. Cela force à savoir si on a des bons éléments ou non pour une initiative. Dans le cas contraire, le projet n’est pas forcément éliminé. Si nous pensons qu’il peut avoir un fort impact avec peu d’efforts, c’est un super candidat pour du Discovery. Nous tenons compte de toutes les opportunités.
On questionne régulièrement la raison des sujets adressés et les problèmes que posent les “convictions” dans les priorisations. Je comprends que c’est le cas chez vous ?
Exactement. La conviction est fondamentale, notamment dans les phases de propositions d’idées. Cependant, il faut étayer ses intuitions et ses convictions par des faits. Pour moi, le vrai rôle de mon équipe dans l’entreprise est de s’assurer d’un fort impact en minimisant les risques. Par la suite, si le top management décide de quelque chose avec un faible indice de confiance, mon équipe peut mettre en garde sur le manque de preuves concernant un sujet et éventuellement demander un délai pour faire des tests. Ainsi, elle tente de remonter l’indice de confiance avant qu’il réalise un arbitrage.
Croire que les équipes produit sont des penseurs avec un nombre fou d’idées à la minute est plutôt destructeur. Nous sommes là pour baliser le chemin.
Théoriquement, un bon Product Manager doit savoir faire un plan projet derrière chaque idée, quelle qu’elle soit.
De ce que j’ai pu voir sur le plateau et de ce que tu me dis, j’imagine que vous exploitez pleinement votre DATA ?
Nous faisons beaucoup de management visuel avec de nombreux chiffres de performance, de serveurs et de plateforme. Nous suivons de nombreux KPIs.
Des exemples de KPIs ?
Le KPI de contacts agences/particuliers. Le parcours est fait de la sorte : le particulier recherche des prix immobiliers sur internet et nous trouve en tête de liste, il estime son prix sur notre site, puis estime chez les agences que nous conseillons. Le taux de performance de ces parcours nous permet de savoir si nous sommes une bonne base communicante. Côté agents immobiliers, nous regardons le volume d’affichage car les agences paient leur droit d’affichage sur notre plateforme. Nous regardons également l’usage des outils de productivité.
Comment les équipes DATA analysts interagissent-elles avec les PM ?
Notre équipe DATA est très centrale. Ce sont 20 scientists qui modélisent le marché immobilier. Cela peut sembler beaucoup et on pourrait penser que ce sont des business analysts, néanmoins ils ne font pas de la DATA produit mais de la DATA fonctionnelle qui permet de construire nos produits. C’est “le réacteur nucléaire de la boîte”, sans eux il n’y a pas de prix ! Par ailleurs, il n’y a pas d’équipe à laquelle on commande des études. Nous avons des liens forts avec l’équipe marketing et un enjeu commun. Ils gèrent l’acquisition et les pubs, il faut véhiculer les bons messages. Ici, chacun peut suggérer et prendre des initiatives, de la même manière les périmètres sont clairs mais pas bloqués.
La Data Analyse est donc à ce jour portée par les Product Managers.
Je comprends bien la méthode d’élaboration et d’orientation de la roadmap, mais nous n’avons pas abordé les insights issus des feedbacks. Comment travaillez-vous avec ?
Actuellement, nous structurons notre collecte de feedbacks et leur exploitation. Parmis les sources, on distingue notamment les remontées terrain avec l’équipe commerciale, les sessions de double écoutes et les tests utilisateurs. Pour les projets, c’est simple car nos feedbacks constituent notre Discovery. Au quotidien c’est plus complexe, il y a un point hebdomadaire avec les équipes commerciales. C’est très utile car tactiquement on peut prioriser nos initiatives. En résumé, notre collecte de feedback est assez large.
Un exemple d’un test enrichissant ?
Le test utilisateur des 5 secondes : des particuliers recrutés par MeilleursAgents sont placés devant notre homepage pendant 5 secondes. À la question « À qui appartient ce site ? », ils n’ont pas su répondre. Les preuves convainquent tout le monde : cela nous a permis de prioriser une refonte de la homepage. C’est ce que j’appelle la professionnalisation du Discovery. C’est une phase qui n’est pas assez présente et organisée sur le marché aujourd’hui. C’est tout à fait normal que les boîtes acceptent difficilement les feedbacks provenant d’un Discovery trop peu structuré.
On en revient à la notion du “pourquoi”. Engager une équipe dans un changement de méthode doit être avant tout motivé par la raison et non par les moyens, erreur fréquente d’après moi !
D’où l’importance de l’honnêteté et la transparence ! Pour passer d’une roadmap aux OKRs ou bien pour lancer un PM dans le Discovery, il faut un temps de transition. L’important est de le dire et de donner de la visibilité là-dessus.
Tu parles d’honnêteté et de transparence, ce sont des softskills que vous recherchez lors de vos recrutements ?
Ce que je recherche avant tout, c’est le côté humain ! L’énergie est très importante aussi car un PM est un leader d’équipe, sans pouvoir managérial. Nous regardons les capacités de réflexion, d’apprentissage et d’humilité pour les feedbacks. Cette humilité est indispensable : lors d’un souci entre collaborateurs, j’aide les personnes à se parler. Nous ne voulons pas de quelqu’un d’orgueilleux. Nous sommes d’abord des passionnés, nous faisons régulièrement des « Guild Produit » et des clubs lecture, ça rejoint la quête de l’excellence. Notre métier est tellement récent et évolue très vite, c’est important de continuer à se former et s’informer. C’est quelque chose que j’attends des candidats également.
Et sur la partie hardskills ?
Je me base sur ce qu’on appelle le CORE Framework :
- Communication : savoir échanger avec les équipes, restituer l’information…
- Organisation : quels outils mettre en place, comment établir un plan projet…
- Recherche : les capacités sur la partie Discovery, comme mettre en place une trame d’interview…
- Exécution : rédiger des User Stories par exemple
Selon moi, un Product Manager confirmé maîtrise complètement ces 4 aspects.
Quels sont tes enjeux pour cette année ?
Principalement la croissance de l’équipe et le recrutement ! Nous avons besoin de créer des Impact Teams supplémentaires pour accélérer tout en garantissant leur autonomie pour conserver une bonne vélocité. Nous allons recruter différents types de profils (Product Designer, product Managers) de tous niveaux.
Avant de finir, as-tu des lectures que tu aimerais conseiller ?
J’ai plusieurs livres à conseiller. Pour avoir un vernis en design, je conseillerais “Don’t Make Me Think”. Concernant les questions de philosophie produit, “The Lean Startup” est très bien et “Running Lean” forme un bel accompagnement pour la mise en pratique. Si vous construisez une plateforme, “Platform Strategy” devrait vous intéresser. Sur d’autres sujets plus généraux, je conseille “Escaping The Build Trap” qui montre qu’une gestion efficace des produits peut aider les entreprises à résoudre les véritables problèmes de leurs clients. Enfin “la CNV en pratique” aide à mieux communiquer.
Il y a aussi des blogs intéressants : “The Lean Stack” de Ash Maurya, “Mind The Product” qui possède une bonne newsletters, et “Les Livres Blancs” Thyga.
Des événements où on peut vous retrouver ?
Je serais speaker à la Flow Con, à Agile Aix En Provence et dans divers événements de la BPI.
Et sur les réseaux sociaux ?
LinkedIn : https://www.linkedin.com/in/christopherparola/
Twitter : https://twitter.com/chrisparola
Medium : https://medium.com/@parola.christopher
Merci Christopher !