L’ownership et la confiance, les clés pour faire performer les équipes : Rencontre avec Florent Champigny, CPO chez Pierre et Vacances Center Parc.

J’ai eu le plaisir d’interviewer Florent Champigny Chief Product Officer du groupe Pierre et Vacances Center Parcs. Il nous parle de ses enjeux d’alignement d’entreprise, de la place de la DATA, de la mise en oeuvre d’une culture centrée sur le client et d’amélioration continue.
Évidemment j’avais aussi quelques questions sur l’organisation des équipes et comment est structuré le flux de valeur…!

Le groupe Pierre et Vacances Center Parcs en quelques chiffres (2019) :

  • 8 millions de clients
  • + de 1,6 milliard d’€ de Chiffre d’Affaires
  • + de 53% de ventes sur le web

Florent Champigny Chief Product Officer du 
groupe Pierre et Vacances Center Parcs
Florent Champigny Chief Product Officer du
groupe Pierre et Vacances Center Parcs

Comment es-tu arrivé dans l’entreprise ?

Il y a deux ans, j’ai eu l’occasion de discuter avec le Directeur Général Sales Digital & Innovation qui profitait d’un départ dans son équipe pour réorganiser sa direction et créer un département pur produit. Étant dans le Produit et CX depuis une quinzaine d’années déjà (2004), j’ai sauté sur le challenge qui me semblait passionnant dans une grosse boîte avec de belles marques ! J’apprécie l’autonomie donnée dans ce poste, ainsi que le secteur : le voyage. C’est agréable de vendre du rêve, des souvenirs et de beaux paysages. Sans oublier que plus jeune, je partais en vacances avec… Pierre & Vacances ! Je pense qu’il est essentiel de croire en la marque, c’est encore plus agréable au quotidien.

Comment définis-tu ton rôle aujourd’hui ? 

Pour moi, le titre du poste à peu d’importance. Ce qui est important, c’est le scope, les missions et les responsabilités confiées. Concrètement, je m’occupe de 4 directions dans la direction générale Sales, Digital & Innovation. Je m’occupe de toutes les équipes produit (UX, PO, PM), les équipes contenu (copyrighters, contenu vidéo/photo, ton of voice…), les équipes studio (DA, UI, Webdesigners) et le référentiel produit (ce qui sert à alimenter nos canaux de vente). Mon rôle c’est de coordonner ces équipes vers un objectif commun : la conversion.

on ne vient pas chercher un lit mais des souvenirs en réservant à travers nos marques

Quels sont tes challenges actuellement et comment les faites vous émerger ?  

Nous avons une stratégie publiée au mois d’octobre 2018 nommée “Ambition 2022”. Il s’agit d’une stratégie sur 4 ans avec 4 piliers. Le coeur de cette stratégie est de mettre nos clients au centre de toutes nos décisions afin de construire un parcours simple, fluide et personnalisé sur tous les points de contact. L’ambition est de personnaliser plus de 50% de nos parcours. Actuellement, plus de 53% des réservations sont effectuées directement sur nos sites web, c’est un chiffre dont nous sommes très fiers surtout dans l’univers du travel. Notre objectif est de passer à plus de 55% d’ici 2 ans. Ceci, entre autres, pour éviter les intermédiaires du type Booking et Expedia. Il faut donc expliquer et prouver la valeur ajoutée de réserver directement sur nos plateformes, plutôt que sur Booking.com (meilleur prix, diversité des moyens de paiement…).
Un autre de nos projets est de valoriser l’expérience, nous voulons sortir de l’hébergement classique. Il n’y a rien de novateur sur ce point, mais c’est un élément-clé pour nous sur le web : il est donc important de montrer que l’utilisateur réserve une journée plutôt qu’une nuitée. C’est un exemple simple mais qui illustre bien qu’on ne vient pas chercher un lit mais des souvenirs en réservant à travers nos marques.

Et vos challenges tournés clients ? 

Nous avons une culture 100% orientée vers le client. Cela va des fonctions siège, à l’accueil des clients dans nos parcs. Par exemple, un appel à J-5 a été ajouté pour demander au client s’il a besoin de quelque chose, pour l’informer de la marche à suivre s’il n’arrive pas aux horaires fixés… Tout cela pour fluidifier le séjour et éviter les inquiétudes. Nos clients ne doivent penser qu’à leurs vacances et à aucun tracas du quotidien.
Nous essayons d’enlever tous les points de friction et l’UX n’est pas uniquement sur le web ! Au-delà d’enlever les points de friction, il faut aussi travailler à augmenter les points d’opportunités. Tout cela dans l’objectif d’avoir une “Smooth Customer Journey” tout au long des points de contact du parcours client. C’est notre obsession quotidienne.
C’est aussi pour cela, que nous avons un projet transverse dans le groupe nommé “Customer Voice”, qui a vocation à collecter les feedbacks client tout au long du parcours.

Il ne suffit pas de collecter les données, il faut aussi les monitorer : la donnée ne sert à rien tant qu’on ne fait pas quelque chose avec.

Qui est responsable de faire toutes ces remontées sur Customer Voice ? 

Nous avons une gouvernance où chaque entité du groupe ayant un contact avec le client, va pouvoir partager les retours clients (qu’ils soient quantitatifs comme une mesure de NPS ou un taux de satisfaction par exemple ou qualitatifs sous forme de verbatims ou d’analyses sémantiques). Sur la base de ces feedbacks, chaque équipe retient des actions à développer, pour gommer les irritants qui ont été remontés par les clients et améliorer l’ensemble de l’expérience. Ce partage au long cours autour de la voix du client nous permet d’améliorer en continu les parcours client.
Nous avons donc un “owner” par département, personnellement je m’occupe du web. Ma collègue en charge de gérer tout cela, c’est la directrice du CRM, de la DATA client et de l’e-merchandising. Au siège, nous ne sommes pas en contact direct avec le client, donc nous avons besoin de nos directeurs de sites, pour nous remonter les pain points physiques. C’est donc assez large et notre objectif est d’atteindre les 80% de nos points de contact client monitorés. Donc il ne suffit pas de collecter les données, il faut aussi les monitorer : la donnée ne sert à rien tant qu’on ne fait pas quelque chose avec. La DATA nous apporte des insights dont doivent découler des actions concrètes afin d’atteindre cet ambitieux 80%.

Je ne peux qu’approuver cette démarche de se nourrir du terrain, en plus d’une analyse data pour alimenter votre roadmap. Est-ce un changement culturel ou bien quelque chose qui existait déjà et qui a été renforcé ? 

Ça a toujours existé, mais c’était plutôt en silos, de manière manuelle et peu industrialisée. Avec “Customer Voice”, le but est de donner du lien, éviter le silotage, d’avoir une vue transverse et se doter des outils communs pour pouvoir agir concrètement sur le parcours client. Nous sommes rentrés dans une phase de communication et d’industrialisation du process.

Dans une entreprise de cette envergure, la simplification ne peut qu’être bénéfique. Cela peut parfois passer par de l’ajout de process, même s’il y a des à priori négatifs là-dessus.

Dans notre département Sales Digital & Innovation, nous avons déroulé une stratégie de “Customer first” qui nous rythme depuis 2 ans et demi et qui sera la même cette année. Toutes nos décisions sont basées sur le client et la data avec 3 piliers :

  • la Conversion;
  • la Coopération;
  • et la Simplification.

Cela nous donne un rythme, une feuille de route, et ces priorités sont valables pour tout le département. Dans une entreprise de cette envergure, la simplification ne peut qu’être bénéfique. Cela peut parfois passer par de l’ajout de process, même s’il y a des a priori négatifs là-dessus : au contraire, cela apporte de la simplification car on sait qui contacter, quand est-ce qu’il faut le faire, avec un point de contact unique, et en finir avec des mails à 17 destinataires !

Si on ne connaît pas le pain point du client, on ne peut pas s’améliorer. La coopération est donc un socle clé. 

Le produit web n’est pas LA grosse feature qui va révolutionner le marché, c’est un ensemble de micros-détails qui vont pouvoir améliorer notre conversion

Bien sûr, la société n’est pas à but non lucratif, il faut se fixer des objectifs ambitieux sur la conversion. Pour moi le produit web n’est pas LA grosse feature qui va révolutionner le marché, c’est un ensemble de micros-détails qui vont pouvoir améliorer notre conversion : réduire la fuite, éviter le rebond, éviter l’incompréhension et simplifier.
Les internautes ne vont plus chercher, il faut que tout vienne à eux et sans effort. Sur mobile, on est à moins de 7 secondes d’attention, donc il faut qu’on puisse engager rapidement et facilement. Nous avons à la fois du contenu pour engager et du contenu pour convertir. Il y a quelques années nous mettions tous ces contenus ensemble : c’est terminé. L’engagement et la conversion sont deux étapes différentes dans le funnel (TOUCH-TELL-SELL-SHARE). Il faut donc mettre le bon contenu, au bon endroit et au bon moment, c’est la clé de la croissance.

Dans tes équipes, qui va faire quoi à quel moment ? 

Nous avons des gros pôles de “connaissance client”. Si je ne connais pas mon client, je ne peux pas m’adapter ni agir efficacement. Il faut lui parler en fonction de ce qu’il vient chercher. Une fois que nous avons la connaissance client, nous pouvons mettre des idées de projet, prioriser les bons sujets et avancer sur la personnalisation. 
De manière générale, le produit est le milieu de la roue. Que ce soit un directeur de site, une personne à l’accueil, au marketing, au CRM ou à l’acquisition : tant que cette personne a un besoin, elle peut le formaliser. Ce besoin arrive dans un backlog et nos experts se chargent d’y répondre et de gérer la problématique. Une fois dans le backlog, les équipes produit se chargent de la priorisation en fonction de ce qui a le plus de ROI, soit pour simplifier, avec le ratio Coût de développement / Gain potentiel. Le gain n’étant pas systématiquement des euros, mais satisfaction, NPS, reach, awareness…

L’Ownership et la Confiance sont clé dans les relations au quotidien afin d’atteinte nos objectifs ambitieux.

Les modèles de priorisation sont toujours mis à rude épreuve quand on voit que le “bottle-neck” de toute entreprise reste la capacité de développement. Comment faites vous pour mettre tout le monde d’accord ?

C’est là que revient notre pilier “coopération”. Nous avons des réunions de pré-ordering de backlog avec l’IT. On y évalue les idées pour pré-classer dans le backlog ce qui est impactant pour le produit et nos clients et prospects. Nous ne pouvons pas faire chiffrer l’intégralité du backlog par l’IT car cela est coûteux et aura un impact conséquent sur la délivrabilité.
D’autre part, nous avons une équipe d’analyse BI et Web Analyse qui va nous aider à identifier où focaliser nos efforts, sur quelle page se trouve l’impact, le nombre de visiteurs par page à l’année, etc. Nous essayons d’annualiser tous les impacts (en prenant en compte la saisonnalité), si nous estimons qu’il y a un taux de sortie à X% sur une page et que nous pouvons l’améliorer de X%, alors le gain peut-être de X millions sur l’année. Nous obtenons ensuite un certain score, et ce n’est pas forcément, voire rarement le projet plus long à faire qui rapportera le plus. 
Comme nous le disons souvent avec 20% des efforts nous pouvons remplir 80% des besoins. Notre approche MVP (Minimum Valuable Product) est systématique et industrialisée.
Il faut absolument savoir s’appuyer sur les spécialistes que nous avons. L’Ownership et la Confiance sont clé dans les relations au quotidien afin d’atteinte nos objectifs ambitieux.

Est-ce une culture que tu insuffles ? Le fait de toujours questionner et se positionner par rapport à la voix du client ? 

Je suis arrivé il y a 2 ans, cela a déjà été insufflé il y a plus de 4 ans avec l’arrivée de Gregory Sion, le directeur général, qui vient d’une société américaine. Il a commencé à l’insuffler mais il y a 1 an et demi nous avons passé un cap au niveau de l’industrialisation de cette culture qui passe notamment par un process d’AB test systématique. Ceci avec une organisation tripartite : le produit, l’e-merchandising et l’analytics. Nous avons même un Web Analyst dédiée sur l’AB test en full-time. J’en viens aux 5 étapes clés du cycle de vie du produit selon moi :

  • Premièrement, la phase de collecte de données qualitatives (interview client, questionnaires, remote tests, focus groupe, appels aux clients/discussions…) : cela permet de donner des grands axes afin d’ouvrir les bonnes portes et se donner un cap;
  • Deuxièmement, la collecte de données quantitatives : on se sert de Google Analytics (web) et de tableaux (multi-canaux). Nous regardons chaque donnée afin d’être certains de travailler sur les éléments impactants;
  • Troisièmement nous avons la donnée comportementale via l’outil Content Square que nous utilisons énormément. Nous en sommes assez fans, c’est fou de voir les données complémentaires par rapport notamment à Google Analytics. Je prends souvent l’exemple des clics sur les zones non-cliquables : c’est un pain point énorme. Soit nous avons un mauvais design, soit nous avons un contenu supplémentaire à créer. Nous analysons chaque zone de chaque page, chaque scroll… Cette partie comportementale est donc très importante, notamment pour réduire les pain points et augmenter les opportunités;
  • La quatrième partie concerne l’AB test, cette étape est non négociable, comme je le dis souvent seul le client peut décider si les éléments livrés sont bons ou non. C’est donc le client qui décide à notre place;
  • Enfin la cinquième étape est l’itération continue. Toutes ces étapes donnent notamment les éléments à mettre en place pour les prochaines versions.
    Avec cette approche nos sites sont faits par et pour nos clients et cela impacte significativement nos résultats.

Qui pilotent quoi dans ces étapes ? 

Ces 5 étapes sont principalement guidées par le produit en coopération avec tous les autres départements. La DATA est extrêmement importante pour cela, à condition qu’on en fasse quelque chose et que chacun ait son ownership sur les données : nous devons nous appuyer sur les forces de l’entreprise et il ne faut pas se marcher dessus. Par exemple, l’ownership de la donnée sur Content Square revient à l’UX, celle de Google Analytics à la WebAnalyse…

De manière générale, traiter l’ownership est une priorité au quotidien, afin d’éviter la dispersion. 

Tu parles bien d’ownerships scindées en fonction des sujets ? 

Tout à fait, c’est la clé de la réussite ! C’est toujours un combat du quotidien. Sur les grandes bases comme l’AB test, ce n’est pas compliqué car nous avons des zonings sur les pages : si c’est de l’e-merchandising, l’ownership revient à l’e-merchandising, etc. Nous discutons tout de même de la tripartite toutes les semaines pour voir ce que chacun en pense afin de favoriser l’intelligence collective. De manière générale, traiter l’ownership est une priorité au quotidien, afin d’éviter la dispersion. C’est la clé de la réussite. 

Un peu de buzz world : et vous que faites vous des “feature team” ? 

J’ai fait une dizaine d’années en feature team. Quand je suis arrivé ici il y avait 15 personnes au produit qui travaillaient sur toutes les pages, toutes les marques et toutes les langues. Je me suis donc dit qu’il fallait réorganiser cela. Les feature teams me paraissaient être une bonne solution. Plus les semaines avançaient, plus je changeais d’avis, premièrement parce qu’une équipe de 15 est trop conséquente : c’est le symbole même de la dispersion. Puis en regardant les pages, les marques et les langues, on se rend compte que les enjeux, les challenges et les clients sont différents. J’ai préféré faire des experts de marque, plutôt que des experts de feature pour être encore plus “Customer Centric” et avoir une approche parcours. Nos marques Centers Parcs et Pierre et Vacances sont très différentes, elles n’adressent pas le même public ni les mêmes comportements.
Ce sont donc des enjeux différents, pour caricaturer faire revenir pour Pierre & Vacances, et convaincre pour Center Parcs, se traduisent par des parcours différents, des UX différents, du design… C’est pourquoi j’ai voulu faire deux plus petites équipes autonomes, responsables et expertes pour gagner en efficacité et en conversion. Quand je dis expert, c’est expert du produit et du client. Les équipes sont agiles et constituées du Product Manager, de Product Owners et d’UX. Elles ont leur Kanban, leurs runs et leurs sujets. En réduisant la dépendance elles vont plus vite.
Scinder le site et les équipes en feature teams, si la communication, la vision, les outils et les méthodes ne sont pas à 200% alignés peut tourner à la catastrophe sur la cohérence des parcours d’un point de vue client.

Dans une organisation, l’autonomie, la confiance et la bienveillance sont primordiales. 

Que conseillerais-tu à des Product Managers qui se lancent ou qui mettent en place une organisation produit ?

Il faut créer une organisation pour répondre à un besoin. Derrière le besoin, il y a le client. Il faut partir de ces besoins ou alors des nouvelles places de marché. Ensuite, il s’agit de voir les profils adaptés, puis l’organisation sur le chapeau. En fait, il faut d’abord regarder la finalité, puis remonter le chemin. Il s’agit de voir où je vais aller, qu’est-ce que je peux faire et qu’est-ce que je mets en place pour y arriver.
Un enjeu peut changer d’une année à l’autre, il faut donc avoir une adaptabilité et une agilité, ce n’est pas un échec de changer son organisation. Il faut impérativement aussi savoir limiter le nombre de priorités “Focus on what matters !”. J’aime bien l’expression “Less is more”, elle est assez significative et cela se rattache au fait d’éviter la dispersion. Pour compléter cela, j’ajouterais que dans une organisation, l’autonomie, la confiance et la bienveillance sont primordiales.

Y a-t-il des événements dans lesquels on peut te retrouver ? 

Nous participons régulièrement à des meetups, des conférences et des témoignages. Nous travaillons aussi beaucoup avec des sociétés externes notamment des startups. L’ambition est de faire 25 POCs (Proof Of Concepts) par an, il y a donc beaucoup de prises de parole communes. Nous sommes présents sur les salons du digital comme les “one-to-one”, “l’EBG” ou encore dans des prises de parole sur le “Customer Voice” sur lesquelles on est souvent sollicité, c’est toujours un plaisir de partager nos expériences.

Merci Florent ! 

Guillaume
Morin
CEO & Fondateur de Monsieur Guiz

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