Vous avez certainement déjà entendu le product owner(1) ou le product manager(1) de votre organisation vous dire :
« À première vue, ce que tu souhaites réaliser nécessite une certaine charge de travail, laquelle ne pourra pas être effectuée d’une traite. Je te propose de créer une epic afin d’affiner et découper ton sujet en plusieurs morceaux que nous livrerons au fur et à mesure ».
Votre première réaction sera peut-être : « pourquoi diantre nous parle t-il d’epic ? » Et si jamais ça ne l’est pas, étant donné qu’elle constitue une excellente transition vers la définition, nous allons tout de même procéder comme si vous aviez réagi ainsi.
L’epic, ou épopée(2), en français désigne généralement une volonté de développement, comprendre un scénario ou récit utilisateur(3) conséquent, dont la réalisation nécessitera un découpage en plusieurs récits utilisateurs de tailles moindres.
Ce qu’il faut lire ici entre les lignes, c’est la notion de « contenant » qui est primordiale à la compréhension du concept. L’épopée sera donc un conteneur à l’intérieur duquel nous allons ranger des informations. Pour illustrer cette définition, et mettre en exergue la notion de contenant j’utilise souvent la métaphore suivante :
Si le Chêne et le Roseau ou la Cigale et la Fourmi étaient des récits utilisateurs, ils appartiendraient à l’épopée « Les fables de Jean De La Fontaine ».
Jusqu’ici, je pense que vous me suivez tous. Néanmoins, cette courte phrase ne permet pas d’exprimer la complexité d’une épopée.
Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’il existe autant de définitions différentes, qui créent une réelle confusion. Passons les en revue ensemble rapidement.
Commençons par Mike Cohn, qui a vulgarisé en 2004 le concept de scénario ou récit utilisateur, définit les épiques dans son ouvrage « User stories applied : for agile software development » comme n’étant ni plus ni moins que des gros scenarios utilisateurs.
Suivi de l’incontournable solution dans le monde de l’agilité, l’éditeur de logiciels Atlasssian :
« Les epics sont des corpus de tâches qui peuvent être subdivisées en tâches spécifiques (appelées « stories » ou « user stories ») basées sur les besoins/demandes de clients ou d’utilisateurs finaux. »
Et enfin, la version de SAFe :
« Une épopée est le conteneur d’une importante initiative de développement de solutions qui capture les investissements les plus importants qui se produisent au sein d’un portefeuille. En raison de leur portée et de leur impact considérables, les épopées nécessitent la définition d’un produit minimum viable (MVP) et l’approbation de Lean Portfolio Management (LPM) avant leur mise en œuvre »
À défaut de couvrir l’ensemble des significations possibles de l’épopée, ces quatre définitions sont les plus communes.
Mais quelle définition devons-nous choisir me direz-vous alors ?
Il n’y a pas de bonne ni de mauvaise réponse à cette question mais si je devais vous en proposer une ce serait : celle qui vous convient.
Voici pourquoi.
Épopée, épique ou epic ne sont jamais que des mots, et les mots n’ont pas de signification intrinsèque. Ils prennent le sens, arbitrairement donné, de la chose qu’ils désignent. Néanmoins, dans le but de rendre possible la communication et la compréhension d’idées par la parole, nous avons convenu d’un système à l’intérieur duquel chaque mot aurait un sens commun, général reconnu par tous : le langage.
Ainsi nous avons par exemple établi que le mot voiture dans son accession la plus générique désignait un véhicule motorisé, comprenant le plus souvent quatre roues, un habitacle, un volant etc. Tout le monde sait ce qu’est une voiture. Pourtant, si je demande à 10 personnes de me donner la définition d’une voiture, j’obtiendrai certainement 10 définitions différentes.
De la même manière, au sein d’une organisation pratiquant l’agilité, peu importe la définition de l’épopée que vous choisissez. La seule chose primordiale sera que tous les membres de l’organisation s’accordent sur cette définition. En effet, cette vision commune permettra la communication, l’échange et la compréhension. À l’instar des personnes comprenant ce que signifie le mot voiture, les membres de l’organisation seront tous à même de comprendre la signification du mot epic et de s’en servir.
Au sein de cette même organisation rédiger une epic me permettra d’aborder un sujet (prenons par exemple l’implémentation de nouvelles méthodes de paiement) de le cadrer, et d’échanger avec les différentes partie-prenantes.
D’une part, l’epic en question n’aura pas le même sens singulier pour chacune des partie-prenantes. Pour les développeurs elle sera probablement perçue à travers le découpage précis des récits utilisateurs qui en ont découlé (ex : corriger le défaut d’affichage du « smart button » de Paypal, ou implémenter le paiement par American Express). Au niveau business et stratégique elle sera peut-être perçue par les fonctions transverses et le métier à travers le problème qu’elle permet de résoudre ou l’objectif qu’elle permet d’atteindre (ex : nos clients se plaignent du nombre limité de méthodes de paiement).
D’autre part elle sera perçu à travers son sens commun par chacune de ces partie-prenantes qui comprendront alors le sujet discuté. Le corollaire de la compréhension du sujet discuté par les partie-prenantes est la participation à la discussion ainsi que son enrichissement par ces mêmes partie-prenantes.
Et à partir du moment où vous avez pu établir le dialogue, vous vous placez dans la position idéale pour atteindre votre objectif.
Je conclurai cet article par une phrase triviale de Mike Cohn, mais qui à mon sens résume finalement bien tout ce qui fait la puissance de l’outil :
« les User stories, epics & thèmes ne sont que des termes que nous utilisons pour aider à simplifier certaines discussions des équipes Scrum(4) »
Mike Cohn
1 : si vous ne vous sentez pas à votre aise avec les termes product owner et product manager, je vous propose ce podcast sur le sujet.
2 : (vous pourrez aussi rencontrer l’adjectif « épique » dans de nombreuses ressources francophones)
3 : user story ou US en anglais. Terme désormais couramment utilisé aussi en français.
4 : traduit dans l’article. Retrouvez la version originale ici : « story, epic and theme are merely terms we use to help simplify some discussions Scrum teams have« .